France, époque Louis XVI
Bronze ciselé et doré
Attribués à Jean-Charles Delafosse (1734-1789)
Chaque chenet est composé d’une base carrée ornée d’un motif de rosette sur laquelle repose un vase à piédouche présentant un motif de faune flanqué de deux anses doubles inspirées de certains vases en porcelaine de Sèvres et bronze doré.
Le couvercle fixe de ce vase est cerclé d’une couronne de feuilles de laurier et surmonté d’une feuille d’acanthe.
Posé sur l’anse extérieure de ce vase part une importante guirlande de feuilles de chêne qui retombe d’une façon asymétrique sur la base, ornée d’une feuille de chêne, reliant le vase à un pied formant une pyramide inversée, surmontée d’une boule ornée de flammes stylisées. Une frise de feuilles de chêne enrubannée coure sur le fronton du bandeau.
Le goût néoclassique et l’influence grecque
Cette paire de chenets s’inscrit parfaitement dans le courant néoclassique des année 1770.
Dès les années 1750, répondant aux réclamations d’un petit groupe de critiques qui dénonçant les extravagances du rocaille aspiraient à retrouver la « noble simplicité » des maîtres de l’Antiquité, commença à apparaître un goût de plus en plus prononcé pour le vocabulaire néoclassique. Le voyage en Italie organisé par la marquise de Pompadour pour former le goût de son frère, Abel Poisson, marquis de Vandières, futur directeur général des bâtiments du Roi, en compagnie du graveur Charles-Nicolas Cochin, de l’architecte Jacques-Germain Soufflot et de l’abbé Leblanc entre novembre 1749 et mars 1751 est considéré dès l’époque comme marquant l’émergence du « goût grec ». Il fut suivi en décembre 1754 de la parution dans le Mercure de France d’une « supplication aux Orfèvres, Ciseleurs, Sculpteurs en bois pour les appartements et autres » par Louis-Sébastien Mercier, véritable plaidoyer en faveur de la ligne droite, du respect des proportions et de l’équilibre, et rappel pressant à la noblesse du répertoire ornemental antique. C’est ainsi que dans les années 1760, ce nouveau goût s’empara de la capitale comme d’une véritable folie. Peintres, ébénistes et bronziers, surent y répondre préfigurant alors le vocabulaire développé à l’époque Louis XVI. Caractéristique du traitement puissant des bronzes de ce courant stylistique, cette paire de chenets, avec son vase tripode aux têtes et sabots de béliers, ses frises de piastres, sa frise d’entrelacs ou ses motifs de cannelures rudentées en présente également tout le vocabulaire.
Jean-Charles Delafosse (1734-1789)
Né à Paris en 1734 et fils d’un marchand de vin établi rue du Roi de Sicile, il amorça sa carrière comme apprenti chez le sculpteur Jean-Baptiste Poulet, directeur garde à l’Académie de Saint-Luc, voie qu’il semble avoir abandonnée rapidement.
La première œuvre connue de Jean-Charles Delafosse date de 1763. Il s’agit d’un dessin conservé aujourd’hui à la Bibliothèque de l’École des Beaux-Arts présentant un Projet de piédestal pour la statue de Louis XV (EBA 1944). Dès 1766, il se présente comme architecte et publie alors un Mémoire pour une Boucherie et Tuerie générale servant à la consommation de la ville de Paris, laquelle Tuerie serait placée dans l’isle des Cygnes qui n’eut pas de suite. Il est probable qu’il travaillait déjà au recueil intitulé Nouvelle iconologie historique ou Attributs hiéroglyphiques, qui ont pour objet les quatre éléments, les quatre saisons, les quatre parties du monde etes différentes complexions de l’homme. Celui-ci, constitué de cent huit planches fut gravé et rassemblé en 10 livres par Delafosse et publié à Paris en 1768. Ouvrage majeur, on y retrouve le dessin de notre paire d’appliques (Cahier de 6 girandoles et bras de cheminées, pl. 4). Vendu 48 livres, le recueil comprenait au départ des séries de trophées caractérisés par un style néoclassique sévère. Delafosse n’eut dès lors de cesse de compléter son œuvre en y incluant des cahiers supplémentaires qui lui permirent de s’exprimer dans tous les domaines du décor intérieur et des arts décoratifs.
En 1767, il se donnait lui-même le titre d’architecte et professeur pour le dessin, puis en 1775, celui d’adjoint à professeur de géométrie et perspective à l’Académie de Saint-Luc. À la même époque, il déménagea de la rue Poissonnière et gagna la rue Neuve Saint-Martin. Delafosse devint membre de l’Académie de Bordeaux en 1781, à la suite d’envois remarqués au Salon de cette ville
Il multiplia les modèles de meubles, de sièges, de luminaires, de vases et d’objets de toutes sortes qui, s’ils ne furent pas directement et fidèlement copiés par les artistes et artisans au même titre que le furent par exemple de nombreux meubles et objets dessinés par Richard de Lalonde, inspirèrent cependant considérablement la production de ces derniers.
Preuve de son succès, Delafosse rédigea une nouvelle version de son premier recueil en 1771, avec le même titre, mais avec 18 cahiers au lieu de 10, édité par Daumont, rue Saint-Martin et Chereau, rue des Mathurins. Entre 1773 et 1785, il publia, en sus de pièces indépendantes et d’un recueil des ordres d’architecture, deux autres recueils principaux. Le premier, intitulé Vingt-quatre différents cahiers de décoration, sculptures, orfèvreries et ornements divers qui complètent l’œuvre de Jean-Charles Delafosse et font suite à sa Nouvelle iconologie historique […], comprend également des œuvres d’autres ornemanistes, tels que Puisieux fils et A. Le Canu. Le second porte essentiellement sur l’ameublement, riche de 134 planches, dont certaines révèlent là aussi une collaboration avec d’autres artistes, rassemblant au total plus de 200 modèles.
La plus grande vertu de Delafosse fut son imagination qui le conduisit même à donner des noms de pure fantaisie à ses créations, parlant de « paphose en gondole », de « convalescente » « d’obligeante » pour désigner une bergère, ou encore une « veilleuse à la turque ». Delafosse fut l’un des principaux initiateurs de ce « goût grec » qui fit fureur à Paris dans les années 1765. Il influença nombre d’ornemanistes de la période Louis XVI, tels que Mathieu Liard, Boucher fils, Jean-François Forty, Richard de Lalonde, Jean-Louis Prieur ou Aubert Parent. C’est ainsi qu’il semble leur avoir donné le goût des motifs antiques : le bucrane, la lourde draperie, le serpent, parfois même la congélation. Il est surtout caractérisé par l’emploi extensif de la guirlande, de lauriers, de chênes, ou de fleurs.
Bibliographie
Hans Ottomeyer, Peter Pröschel, Vergoldete Bronzen: die Bronzenarbeiten des Spätbarock und Klassizismus, München, Klinkhardt & Biermann 1986, p. 200.
Marie-Laure de Rochebrune (dir.), El gusto “a la griega”. Nacimiento del neoclasicismo francés, Madrid, Palacio Real, Lisboa, Museo Calouste Gulbenkian, fundaçao Calouste Gulbenkian, 2007.
Pierre Verlet, Les bronzes dorés français du XVIIIe siècle, Paris, Picard, 1987.