Ce petit tableau rectangulaire en étain estampé, rehaussé d’or et de gouache représente une vue du château de Choisy depuis la cour d’Honneur.
La façade sur cour du château est décrite avec une grande précision grâce à la technique d’estampage. Elle correspond à la nouvelle façade construite à la demande de Louis XV par Gabriel comportant un ordre ionique marquant l’avant-corps central. Deux corps de logis encadrant la cour sont marqués par des avant-corps en saillis également ornés de frontons triangulaires. Le sous-bassement ainsi que les angles de l’ensemble sont soulignés par des refends. Le tout est surmonté d’un toit mansardé poncturé de chiens-assis et de paires d’oculis au-dessus des frontons des deux ailes.
La cour est encadrée de grilles au-delà desquelles on devine le parc grâce à une rangée d’arbres sur la gauche, tandis qu’une interruption de celle-ci permet d’accéder à une seconde cour sur la gauche dans laquelle on aperçoit un autre corps de logis dans le prolongement de la façade principale. Celui-ci correspond à l’aile construite par la princesse de Conti face à la Seine.
De nombre personnages viennent agrémenter la cour au premier plan de l’ensemble, au milieu duquel circule un carrosse tiré par quatre chevaux. Ces personnages sont rehaussés de gouache, de même que le ciel légèrement rosé dont les couleurs évoquent une fin de journée.
Les détails du château, décrits grâce à l’estampage de la plaque d’étain, comme la toiture émaillée et le feuillage des arbres, rendent cette représentation particulièrement précise et vivante.
Un encadrement émaillé vert à motif de stries agrémente les contours du tableau.
Les tableaux en Compigné
D’une grande préciosité et variété de matériaux, les tableaux en Compigné étaient réalisés selon un procédé mystérieux à partir d’une feuille d’écaille de tortue ou de papier cartonné sur laquelle était appliquée une feuille d’étain ou d’or. La surface pouvait ensuite être décorée à l’or, à l’argent, à la gouache et aux vernis colorés. La manière dont la couleur, l’or ou l’argent est fixé à l’étain reste aujourd’hui mystérieuse. Ces « miniatures » connues aujourd’hui sous le nom de Compigné, eurent un très grand succès dans les années 1760. Le petit format, caractéristique de cette production, nécessitait de travailler avec une extrême précision, probablement à l’aide d’une loupe, pour développer le perfectionnement des détails techniques et des coloris.
Les vues du château de Choisy semblent avoir eu un certain succès car plusieurs exemplaires similaires sont aujourd’hui connus : autour de la même matrice l’artiste a pu ainsi décliner différentes couleurs, modifier les cadrages ainsi que les encadrements. Elles étaient souvent présentées par paire, associant une vue sur cour et une vue depuis la Seine.
Thomas Compigné
Arrivé d’Italie probablement vers 1750, Thomas Compigni prit le nom de Compigné en s’installant dans le quartier Montorgueil, rue Greneta à Paris à l’enseigne du Roi David. En tant que tabletier, il était spécialisé dans la fabrication et la vente de boîtes, de jeux de trictrac, de dames et d’échecs, de tabatières et autres poignées de canne en écaille blonde incrustées d’or. Réputé pour la qualité de ses objets, Thomas Compigné est l’un des rares tabletiers du XVIIIe siècle dont on a retenu le nom. De nombreuses gazettes font l’éloge, entre 1766 et 1773, de sa production d’objets « très beaux, incrustés d’or et de différentes couleurs très solides) ». Elles décrivent particulièrement ses ouvrages connus aujourd’hui sous le nom de « Compigné. En 1773, il présenta au Roi deux vues du château de Saint-Hubert et obtint le titre de tabletier privilégié du Roi sous Louis XV et sous Louis XVI. Ses thèmes de prédilection sont le plus souvent des vues de villes, de monuments et de châteaux dans des perspectives de parcs ou de paysages animés de petits personnages.
Le château de Choisy
Aujourd’hui disparu, le château de Choisy-le-Roi fut l’une des résidences les plus appréciées de Louis XV.
Son histoire débute avec l’arrivée de mademoiselle de Montpensier, dite « la Grande Mademoiselle » en 1677. Fille unique de Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII et de Marie de Bourbon-Montpensier, elle est la cousine de Louis XIV. Ayant acquis un terrain en bord de Seine à Choisy, où se trouvait une maison de plaisance qu’elle fait rapidement démolir, elle fait appel entre 1678 et 1679 à Jacques IV Gabriel pour édifier un château à l’emplacement de l’ancienne demeure. Cette résidence est alors constituée d’une perspective traversant le corps de logis, entre l’entrée principale, la cour et le jardin à l’arrière ; les ailes sont marquées par deux pavillons agrémentés d’avant-corps en saillie qui répondent à l’avant-corps central, où se trouve l’entrée principale du château. Les rez-de-chaussée des avant-corps sont soulignés de bossages continus.
A sa mort en 1693 Mademoiselle lègue la demeure à son demi-frère, Monseigneur, dit le Grand Dauphin, Louis de France (1661-1711), qui l’échange deux ans en plus tard avec Anne de Souvré, veuve du ministre Louvois, contre le château de Meudon. Ses héritiers vendent le domaine à la princesse de Conti en 1717. A son arrivée, celle-ci fit construire une aile attenante au corps de logis, face à la Seine, visible ici sur la partie gauche du Compigné.
Louis XV, séduit par le domaine situé à proximité des grandes forêts de chasse, en fait l’acquisition à la mort de la princesse de Conti en 1739. L’investissant peu à peu, il y façonne un lieu intime, ne cessant d’y apporter des embellissements, confiés à son Premier architecte Jacques V Gabriel, et à son fils Anges-Jacques Gabriel. En effet, réservé dans un premier temps à un cercle restreint de familiers, il est, à partir de 1746, le lieu où se retrouve la famille royale, dans un cadre moins protocolaire nécessitant la construction de nouveaux communs, ainsi qu’un deuxième Petit Château, plus intime.
Le château principal quant à lui connaît d’importants travaux élaborés par Gabriel. La distribution intérieure est alors modifiée, et afin d’obtenir une surface plus importante, la façade sur cour est démolie. Une nouvelle façade est alors conçue sur le modèle de celle ayant vue sur la Seine. Elle comporte un ordre ionique marquant l’avant-corps central, surmonté d’un fronton, et correspond à celle visible sur ce Compigné.
Choisy est pour le Roi un lieu de détente propice aux jeux, aux fêtes, aux promenades sur la Seine. Il considère ce château comme sa maison familiale, à l’inverse de Versailles, Fontainebleau et Compiègne, résidences officielles.
Après la mort de Louis XV, le château est peu à peu laissé à l’abandon. Louis XVI ne s’y plait pas et son entretien lui coûte trop cher. En 1787, le château est démeublé et cédé au département de la Guerre pour en faire une caserne. Durant la Révolution, le domaine est vendu aux enchères en 1791 comme bien national. Le parc et les bâtiments sont vendus en lots à une vingtaine des propriétaires privés. Les bâtiments seront ainsi démontés et démolis petit à petit, ne laissant aujourd’hui que très peu de traces visibles dans le paysage.
Bibliographie
Anaïs Bornet, Renaud Serrette, Stéphane Castelluccio, Gabriela Lamy, Le château de Choisy, Paris, 2021.
Anita Semail, « ces délicats chefs-d’œuvre de la tabletterie au XVIIIe siècle : Les Compigné et leurs créateurs », Plaisir de France n° 427, mars 1975.
Ouvrage collectif, Compigné, peintre et tabletier du Roy, catalogue d’exposition, Grasse, Villa-Musée Jean-Honoré Fragonard, Juin-Juillet 1991.