Ce petit tableau rectangulaire en étain estampé, rehaussé d’or et de gouache représente une vue du château de Choisy depuis la Seine.
La façade sur cour du château est décrite avec grande précision grâce à la technique de l’estampage d’une plaque d’étain. Elle correspond à la façade donnant sur la Seine comportant un ordre ionique marquant l’avant-corps central mise au point par Thomas Compigné. Deux corps de logis encadrant la cour sont marqués par des avant-corps en saillis également ornés de frontons triangulaires. Le sous-bassement ainsi que les angles de l’ensemble sont soulignés par des refends. Le tout est surmonté d’un toit mansardé poncturé de chiens-assis et de paires d’oculis au-dessus des frontons des deux ailes.
Devant la façade s’étendent des parterres de broderies qui agrémentent la terrasse bordant la Seine. Celle-ci, représentée au premier plan est séparée du jardin par un quai dont la partie centrale formait une avancée sur la gauche de laquelle un escalier permettait de descendre jusqu’au bord de l’eau.
Plusieurs embarcations de plaisance voguent sur l’eau dans lesquelles on distingue de petits personnages qui animent la scène tout comme les nombreuses silhouettes de promeneurs dans les parterres.
Ces personnages sont rehaussés de gouache de même que le ciel légèrement rosé dont les couleurs évoquent une fin de journée.
Les détails du château, décrits grâce à l’estampage de la plaque d’étain rehaussé d’or, d’argent et d’émail coloré comme la toiture émaillée, le feuillage des arbres et la Seine rendent cette représentation particulièrement précise et vivante.
Un encadrement émaillé vert à motif de stries agrémente les contours du tableau.
Les tableaux en Compigné
D’une grande préciosité et variété de matériaux, les tableaux en Compigné étaient réalisés selon un procédé mystérieux à partir d’une feuille d’écaille de tortue ou de papier cartonné sur laquelle était appliquée une feuille d’étain ou d’or. La surface pouvait ensuite être décorée à l’or, à l’argent, à la gouache et aux vernis colorés. La manière dont la couleur, l’or ou l’argent est fixé à l’étain reste aujourd’hui mystérieuse. Ces « miniatures » connues aujourd’hui sous le nom de Compigné, eurent un très grand succès dans les années 1760. Le petit format, caractéristique de cette production, nécessitait de travailler avec une extrême précision, probablement à l’aide d’une loupe, pour développer le perfectionnement des détails techniques et des coloris.
Les vues du château de Choisy semblent avoir eu un certain succès car plusieurs exemplaires similaires sont aujourd’hui connus : autour de la même matrice l’artiste a pu ainsi décliner différentes couleurs, modifier les cadrages ainsi que les encadrements. Elles étaient souvent présentées par paires, associant une vue sur cour et une vue depuis la Seine.
Thomas Compigné
Arrivé d’Italie probablement vers 1750, Thomas Compigni prit le nom de Compigné en s’installant dans le quartier Montorgueil, rue Greneta à Paris à l’enseigne du Roi David. En tant que tabletier, il était spécialisé dans la fabrication et la vente de boîtes, de jeux de trictrac, de dames et d’échecs, de tabatières et autres poignées de canne en écaille blonde incrustées d’or. Réputé pour la qualité de ses objets, Thomas Compigné est l’un des rares tabletiers du XVIIIe siècle dont on a retenu le nom. De nombreuses gazettes font l’éloge, entre 1766 et 1773, de sa production d’objets « très beaux, incrustés d’or et de différentes couleurs très solides) ». Elles décrivent particulièrement ses ouvrages connus aujourd’hui sous le nom de « Compigné. En 1773, il présenta au Roi deux vues du château de Saint-Hubert et obtint le titre de « tabletier privilégié du Roi » sous Louis XV et sous Louis XVI. Ses thèmes de prédilection sont le plus souvent des vues de villes, de monuments et de châteaux dans des perspectives de parcs ou de paysages animés de petits personnages.
Le château de Choisy
Aujourd’hui disparu, le château de Choisy-le-Roi fut l’une des résidences les plus appréciées par Louis XV.
Son histoire débute avec l’arrivée de mademoiselle de Montpensier, dite « la Grande Mademoiselle » en 1677. Fille unique de Gaston d’Orléans, frère de Louis XIII et de Marie de Bourbon-Montpensier, elle est donc la cousine de Louis XIV. Ayant acquis un terrain en bord de Seine à Choisy, où se trouva une maison de plaisance qu’elle fait rapidement démolir, elle fait appel entre 1678 et 1679 à Jacques IV Gabriel pour d’édifier un château à l’emplacement de l’ancienne demeure. Cette résidence est alors constituée d’une perspective traversant le corps de logis, entre l’entrée principale, la cour et le jardin à l’arrière. Du côté de la cour d’Honneur, les ailes sont marquées par deux pavillons agrémentés d’avant-corps en saillie qui répondent à l’avant-corps central, où se trouve l’entrée principale du château. Les rez-de-chaussée des avant-corps sont soulignés de bossages continus. La façade ayant vue sur la Seine est marquée par un avant-corps central en ressaut à trois baies surmontées d’un fronton triangulaire dont l’étage est ponctué d’un ordre colossal. Deux avant-corps en légère saillie viennent agrémenter les extrémités de cette façade. Un jeu de refend souligne les angles de ces avant-corps ainsi que la partie basse de l’avant corps central.
Ayant été très peu modifiée par la suite, cette élévation est très proche de celle décrite sur ce Compigné.
A sa mort en 1693 Mademoiselle lègue la demeure à son demi-frère, Monseigneur, dit le Grand Dauphin, Louis de France (1661-1711), qui l’échange deux en plus tard contre le château de Meudon à Anne de Souvré, veuve du ministre Louvois. Ses héritiers vendent le domaine à la princesse de Conti en 1717. A son arrivée, celle-ci fit construire une aile attenante au corps de logis, face à la Seine, visible ici sur la partie gauche du Compigné.
Louis XV, séduit par le domaine situé à proximité des grandes forêts de chasse, en fait l’acquisition à la mort de la princesse de Conti en 1739. L’investissant peu à peu, il y façonne un lieu intime, ne cessant d’y apporter des embellissements, confiés à son Premier Jacques V Gabriel, et à son fils Anges-Jacques Gabriel. En effet, réservé dans un premier temps à un cercle restreints de familiers, il est, à partir de 1746, le lieu où se retrouve la famille royale dans un cadre moins protocolaire nécessitant la construction de nouveaux communs, ainsi qu’un deuxième Petit Château, plus intime.
Le château principal quant à lui connaît d’important travaux élaborés avec Gabriel. La distribution intérieure est alors modifiée et afin d’obtenir une surface plus importante la façade sur cour est démolie. Une nouvelle façade est alors conçue sur le modèle de celle ayant vue sur la Seine. Côté Seine, la façade principale est conservée. L’aile des Seigneurs est alors bâtie. Sa longue façade bâtie est ouverte sur les parterres en bord de Seine par dix-sept baies, est dissimulée par une rangée d’arbres qui conserve l’unité visuelle du corps de logis principal du château. On en devine les parties basses derrières les arbres de la partie droite de ce Compigné.
Choisy est pour le Roi un lieu de détente propice aux jeux, aux fêtes, aux promenades sur la Seine, considérant ce château comme sa maison familiale, à l’inverse de Versailles, Fontainebleau et Compiègne, résidences officielles.
Après la mort de Louis XV, le château est peu à peu laissé à l’abandon. Louis XVI ne s’y plait pas et son entretien lui coûte trop cher. En 1787, le château est démeublé et cédé au département de la Guerre pour en faire une caserne. Durant la Révolution, le domaine est vendu aux enchères en 1791 comme bien national. Le parc et les bâtiments sont vendus en lots à une vingtaine des propriétaires privés. Les bâtiments seront ainsi démontés et démolis petit à petit, ne laissant aujourd’hui que très peu de traces visibles dans le paysage.
Bibliographie
Anaïs Bornet, Renaud Serrette, Stéphane Castelluccio, Gabriela Lamy, Le château de Choisy, Paris, 2021.
Anita Semail, « ces délicats chefs-d’œuvre de la tabletterie au XVIIIe siècle : Les Compigné et leurs créateurs », Plaisir de France n° 427, mars 1975.
Ouvrage collectif, Compigné, peintre et tabletier du Roy, catalogue d’exposition, Grasse, Villa-Musée Jean-Honoré Fragonard, Juin-Juillet 1991.
Myriam Escard-Bugat, « Mystérieux Compignés », L’objet d’art, n° 567, mai 2020, pp. 26-30.